Un vieux dans le soleil couchant by Yves Mabin Chennevière

Auteur:Yves Mabin Chennevière [Mabin Chennevière, Yves]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00

À chaque passion son objet, sa forme. À chaque vieux sa vieillesse. Je ne me « penche pas sur mon passé », je suis mon passé, la carcasse de mon passé. Il m’en reste une portion de plus en plus ténue, sur laquelle je porte des jugements que je n’ai plus le temps de mettre en délibéré avec moi-même.

Du présent j’ai une saisie partielle que je m’efforce de maintenir. De l’avenir auquel j’échapperai, une image très sombre à cause du passé et du présent : chaque siècle inventant ses crimes, l’actuel et les prochains se soumettront à ce qui semble une loi de l’Histoire.

Destin invariable de l’homme, combattre. Le plus ardent combat étant à mener en faveur de l’apaisement à arracher bribe par bribe, afin de donner tort à l’évidence que la guerre serait l’état permanent du monde, que la paix, douce utopie nomade, commencerait à mourir le jour de sa signature, comme l’homme, le jour de sa naissance.

Là est la cause principale de mon insomnie chronique. J’imagine les évènements tragiques inédits auxquels sera, avec des millions d’autres, mêlée ma petite-fille, et ne comprends pas la myopie, l’apathie des jeunes générations à les prévenir. Il me reste à espérer qu’elles agissent à temps d’une façon que j’admirerais si j’en étais témoin.

Le vieux pense en vrac. Il n’est pas plus maître de son temps qu’il ne l’est de son corps. Il l’est encore un peu de ses émotions qui jaillissent autant de sa sensibilité que de son intelligence, de son cœur que de sa tête, se protègent des ruses de la sensiblerie.

Il s’automutile : son inquiétude l’inquiète, ses maladresses l’inhibent, ses incertitudes l’angoissent, sa tristesse le submerge, son isolement l’étouffe. Il a passé l’âge de faire des choses qu’il faisait d’habitude.

Si c’est lui qui en décide, il s’attriste mais accepte. Si ce n’est pas lui, il renâcle. Quoi de plus pitoyable que la révolte stérile d’un vieux qui mendie le soutien d’autres vieux pour la justifier ?

Quand il n’est pas empêché, le vieux s’empêche, forge la barrière de son autoprotection. Plus fragile qu’une palissade de fagots, elle cède à la poussée d’un remords latent, qu’assimile mal sa sagesse contrainte. Il n’ajoute pas le mensonge à l’injure de son âge, en usant d’illusions sans fondement, garde une conscience claire. S’il la perdait, la mélancolie saisirait l’occasion tant attendue, prendrait le commandement du navire en détresse, précipiterait le naufrage.

Il dédaigne sa situation périlleuse pour mieux la combattre. Même éphémère, même irréelle, à défaut d’une victoire, sa lutte inefficace est une libération.

Il ne joue plus. Le temps de l’apparence, du déguisement, de la feinte, de l’artifice est passé. Le sourire se substitue au rire, la réflexion au verdict, le mutisme au bavardage, le silence au bruit. L’espérance prévaut sur la foi que le doute n’a pas cessé de mettre à l’épreuve, l’admiration sur la dépréciation hâtive, la conversation sur la querelle, la méditation sur la harangue.

Le refus restreint son domaine, s’affermit là où il se maintient.

S’il prend la parole sans être sollicité, le vieux s’oblige à être précis dans ce qu’il dénonce, dans ce qu’il propose.

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